Proust et son village

Café littéraire de Saint Jean-le-Thomas - Le 2 mars 2012 par Brigitte Mahuzier professeur de français au Bryn Mawr College aux Etats Unis, en Pennsylvanie, non loin de Philadelphie qui passe ses vacances à Saint Jean le Thomas.
Son exposé, par des extraits finement choisis sait nous faire pénétrer dans le village de Proust, mais aussi dans la psychologie du jeune Marcel et des membres de sa famille.
Nous avons alors envie d'aller plus loin et de lire ou relire ce chef d'oeuvre de la littérature française.


Portrait par Jacques Emile Blanche en 1892
Portrait par Jacques Emile Blanche en 1892
Comme il n’est pas nécessaire de le rappeler, Proust est né à Auteuil (16e arrrondissement de Paris) le 10 juillet 1871 et est mort le 18 novembre 1922 à Paris (Boulevard, Haussmann, 8e).  Tout cela ne fait évidemment pas de lui un “villageois” mais un parisien pur jus, un parisien de la rive droite et des beaux quartiers, comme on le voit sur le tableau de Jacques-Emile Blanche, datant de 1892, qui représente un Proust extrêmement parisien, d’une élégance raffinée, presque décadente, image du dandy, chroniqueur mondain, au costume sombre, visage pâle, orchidée blanche à la boutonnière. 
Mais je vais essayer de montrer que sous le parisien il y a le villageois, ou comme on disait en 68, sous les pavés la plage.

Quand Proust commence à écrire A la Recherche du temps perdu, en 1908 (il a déjà 37 ans et il lui reste que 14 ans à vivre), il réécrit en fait un roman très proche de sa propre vie et qu’il abandonne (Jean Santeuil, autobiographique à la 3e personne) et le transforme en récit à la première personne, mais beaucoup moins littéralement fidèle à sa vie (roman à la première personne).  
 
La première phrase de ce long récit, et la plus courte, est très connue: “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”,  (c’est-à-dire que maintenant je suis un “hibou”, pour reprendre son image, je vis la nuit, Jacques-Emile Blanche appellera ce livre le livre de l’insomnie).  Et la dernière se termine par le mot “temps”: les hommes, qui occupent une toute petite place dans l’espace, occupent une très grande place “dans le Temps”.
 
Roman circulaire (en boucle, dirait-on aujourd’hui) sur le temps, et sur deux formes de temps: celui qui change et nous change (le temps qui passe et ne revient plus), et celui qui se répète et qui revient (les saisons) mais toujours de façon irrégulière (dans sa régularité).  
Il faut noter ici que l’anglais est plus précis que le français car il y a deux mots pour “temps” selon qu’il s’agit de deux choses bien différentes : time (celui du calendrier, de la montre) et weather (celui du baromètre) et que dans un village, à la campagne loin des villes, le temps qu’il fait (weather) prend une importance capitale et influe sur le temps mesuré par la montre ou l’église du village (time), ce qui n’est pas le cas pour le temps de la ville, surtout depuis l’invention de l’électricité. 
 
Proust conçoit d’abord ce roman en 2 parties: temps perdu/temps retrouvé, puis trois (entre perdre et retrouver, il faut le temps de chercher).  Une année après la publication du premier volume, “Du côté de chez Swann” (en 1913 chez Grasset), la première guerre mondiale éclate et il ne peut pas faire imprimer son deuxième volume, Le Côté de Guermantes.  C’est alors qu’il le réécrit, le développe, y ajoute un autre, puis un autre, et quand il mourra, en 1922, avec une oeuvre plus ou moins complète, elle en comptera sept au lieu de trois et plus de 3000 pages au lieu de 1000 environ.   Cette oeuvre, en grande partie un produit de la guerre vécue à l’arrière, dans une chambre calfeutrée mais où entrent tous les bruits du monde, s’ouvre sur l’image calme et pacifique d’un petit village de province qui semble échapper au tumulte de l’histoire.

Marcel à droite et son frère Robert
Marcel à droite et son frère Robert
On est surpris d’apprendre que Proust a passé très peu de temps chez la tante Amiot à Illiers, quelques saisons pascales alors qu’il était très jeune, pas de quoi en faire un roman, et d’ailleurs les visiteurs de la maison et de son jardin à Illiers-Combray sont également surpris de trouver la maison si petite, le lieu si chétif, sans grâce.  Mais si Proust a très peu vécu dans son village et si ce village ne se distingue en rien des petits villages dénués de charme qui parsèment la France profonde--celle d’hier n’étant pas bien différente de celle d’aujourd’hui qui a quelques ronds-points et centres commerciaux en plus--il lui a donné une grande importance dans son oeuvre.  C’est en effet par lui que l’on commence et c’est lui qui réapparaît à la fin du roman pendant l’épisode de la Grande Guerre qui transforme Paris en village de province.  L’espace qu’il occupe n’est pas tout petit, mais au contraire très vaste.  C’est là où Proust prépare la suite de son roman (dont il est évidemment loin d’imaginer l’ampleur), qu’il présente, sur un mode anodin, amusant, léger, pittoresque, et quelquefois ridiculement mélo des sujets graves et émouvants, qu’il fait (comme il le fera tout au long de son roman) des observations profondes sur ces êtres bizarroïdes que sont les êtres humains, leur vie en groupe, leurs coutumes et habitudes, leurs idées reçues, tout ce qui, quand on gratte un petit peu, apparaît sous la surface, sous les pavés.
 
Ce que je voudrais aussi faire ici c’est montrer le travail de l’écrivain, qui passe d’un donné, qui est sa vie, avec ses limites et ses contraintes, voire ses petitesses et sa morose banalité, à l’oeuvre d’art; qui creuse cette surface, et en creusant, trouve la plage, le sol commun à tous, un sol qui n’est pas pour autant fait de sable fin et doré mais de crevasses et de méduses échouées et où la marée peut tout recouvrir à la vitesse d’un cheval au galop.

Région centre, dépt. Eure et Loire à 25km de Chartres
Région centre, dépt. Eure et Loire à 25km de Chartres
Et pour ce faire, je parlerai de Combray, comment Illiers, un lieu réel qui se situe près de Chartres, dans le paysage plat et assez ingrat de cette région de la Beauce, est devenu Combray, comment il nous fait découvrir ce village, comment il l’anime comme des images qui deviennent cinéma, comment il nous fait l’aimer, et comment (et peut-être pourquoi), après l’avoir déplacé de la Beauce à la Champagne, il le détruit. 

Comme on l’a noté plus haut, Proust est né à Paris, et comme on le sait, sa famille est parisienne du côté de sa mère, et provinciale du côté de son père. 
Comme on l’a également noté, le jeune Marcel Proust passe peu de temps à Illiers: il y va pendant sa petite enfance passer les vacances de Pâques, entre l’âge de 5 et 10 ans environ, invité avec sa famille chez la tante Amiot.  Il n’y retournera qu’une fois, pour les funérailles de celle qui deviendra la tante Léonie.
 
Si l’on considère les personnages de Combray, on remarque qu’à part cette tante Amiot, ce village est peuplé non pas de personnes appartenant au côté de son père, une famille de commerçants d’Illiers, de tradition catholique (le père de l’écrivain, Adrien Proust, était professeur à la Faculté de Médecine de Paris, premier grand hygiéniste français, conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies) mais par la famille du côté de sa mère, Jeanne Weil, parisienne d’origine alsacienne et isréalite (comme l’était Dreyfus), fortunée et cultivée.  
 
On s’aperçoit également que la maison de Combray, située au centre du village, ressemble sous bien des aspects à la maison d’Auteuil, celle du grand-oncle maternel de Proust, Louis Weil, qui avait accueilli la famille

Elisabeth Proust épouse de Jules Amiot a servi de modèle pour la tante Léonie
Elisabeth Proust épouse de Jules Amiot a servi de modèle pour la tante Léonie
Proust au moment des événements de la Commune de Paris, qui ont mis Paris à feu et à sang du 18 mars au 28 mai 1871, peu avant la naissance du premier enfant de Jeanne, Marcel (de méchantes langues ont expliqué son génie un peu torturé par sa naissance en pleine révolution, tout comme ils ont attribué la longueur de ses phrases à vous couper le souffle à ses problèmes d’asthme). 
 
Enfin, comme noté plus haut, la tante Léonie est modelée sur la tante Amiot, du côté de son père.  Or Proust en fait une cousine du grand-père maternel, et donc la situe du côté de la mère.
 
Pour résumer, Proust ne nous donne pas une photographie (une photocopie) de sa vie, il en fait un film, avec des acteurs jouant des rôles qui ne correspondent pas à leur propre vie.  Il fait de Combray un village féminin, maternel, un village à la fois très catholique (importance des dimanches, le jour consacré des catholiques) et pas si catholique que ça (importance des samedis, le jour consacré dans la religion juive), un mélange, un amalgame, où lui seul peut–être pourrait s’y retrouver, mais où chacun retrouve quelque chose qu’il reconnaît.
           
Je propose donc de commencer à regarder ces personnages et de voir comment ils apparaissent dans le roman, et comment avec eux, mais aussi avec les objets qui appartiennent  typiquement à un village ou à une petite ville de province, Proust crée “son village”. 
 
Parce que Proust excelle à décrire dans ses moindres détails la vie d’un village, il fait de Combray un village peut-être plus réel que le vrai, à tel point que la “maison de tante Léonie” a été classée “monument historique” en 1961, et que la petite ville d’Illiers a pris, en 1971, le nom d’Illiers-Combray.   Ce village deviendra une sorte de personnage, animé lui-aussi, vivant, et faisant partie de la mythologie de Proust.

Proust et son village
 “Combray”, la toute première partie du roman, est divisé en deux parties, et entre les deux, se trouve le fameux épisode de la Petite Madeleine.  Je propose de parler des personnages qui apparaissent avant et après cet épisode selon la place qu’ils prennent : le petit Marcel (que j’appellerai ainsi pour aller plus vite) et sa famille proche et maternelle: ses parents, grands-parents et grand-tante, et après: la tante Léonie et sa fidèle servante, Françoise qui elle, fait la jonction entre les deux [un peu comme la Vierge Marie fait le lien pour les catholiques entre l’Ancien et le Nouveau Testament].
 

Jeanne Proust, la mère
Jeanne Proust, la mère
Mère:
une scène a lieu dans la première partie qui met en relief la force de l’habitude, l’attachement à la mère, la tendresse ferme de l’éducation maternelle opposée à la faiblesse du père:

La scène du baiser maternel
Chaque soir, Marcel attend avec impatience le baiser maternel, comme une sorte de baiser de paix qui lui permet de dormir, c’est une habitude et une nécessité pour lui, mais il sait (et sa mère aussi n’en est que trop consciente) qu’il existera un temps où cela ne sera plus possible, et cela s’appelle l’âge adulte.  Or, un soir, leur voisin et personnage éponyme du premier volume, Charles Swann, vient dîner et Marcel est envoyé se coucher par son père qui, d’abord empêche sa femme d’aller embrasser l’enfant, puis devant l’état déplorable de cet enfant au moment où ils montent tous deux se coucher après le départ de Swann, l’encourage à passer la nuit à son chevet où elle lui lit des livres, ce qui le rend à la fois extrêmement heureux et extrêmement  malheureux car il sait que sa mère souffre d’encourager ses mauvaises habitudes et de céder à ses caprices.

Escalier menant au premier étage de la maison de tante Léonie
Escalier menant au premier étage de la maison de tante Léonie

Ce qui est amusant et touchant à la fois dans cette scène c’est qu’elle est décrite comme un drame (lorsque la mère ne vient pas, il rentre dans sa chambre, "creuse [son] propre tombeau, en défaisant [ses] couvertures, pour revêtir le suaire de [sa] chemise de nuit” mais aussi comme une pièce de boulevard (lorsque son père arrive dans l’escalier et que l’enfant, debout en chemise de nuit sur le palier, entend ses pas, il s’écrit: “Je suis perdu!”). Malgré tous ces excès, elle reste déchirante car il s’agit bien du drame poignant d’un enfant et plus tard d’un adulte se sentant délaissé par la seule personne qu’il aime au monde et qui, pendant qu’il l’attend sans espoir, s’amuse, l’oublie en buvant du champagne en compagnie des invités.

Adrien Proust, le père
Adrien Proust, le père
Père:
comme on le voit, opposé à la mère, il ne comprend pas que l’éducation de son fils doit être faite avec fermeté, justice, rigueur, bref c’est un bon père car il aime son fils, mais un mauvais père car il n’a aucun sens de la discipline, et exerce son pouvoir de façon arbitraire et imprévisible.   Son pouvoir est en effet fragile, c’est celui de l’homme de science qui ne comprend pas grand chose à la nature mais prétend la contrôler.  
Cette fragilité se manifeste par son amour des baromètres.  En effet, il adore scruter le baromètre, signe qu’il néglige le temps (time) pour le temps (weather), tout en s’imaginant que ce dernier est scientiquement contrôlable par la météorologie.  Cette fragilité est révélée par la mère, qui manifeste envers lui un “respect  attendri”, surtout lorsqu’il examine le baromètre, mais qui évite de le fixer du regard “pour ne pas chercher à percer le mystère de ses supériorités”, de peur que celles-ci ne s’évanouissent.

Adèle Weil, la grand-mère maternelle
Adèle Weil, la grand-mère maternelle
Grand-mère:
 mère de la mère, c’est un personnage sublime, plein de tendresse pour chacun, d’amour dévoué pour sa fille et son petit-fils, de générosité pour tous, dénué de toute forme de snobisme social, amoureuse de l’art, de la littérature, mais aussi de la nature (qu’elle ne prétend pas contrôler au contraire).  Ce qu’elle aime c’est se promener dans le jardin, sous la pluie et le vent, et “en profiter pour arracher subrepticement au passage quelques tuteurs de rosiers afin de rendre aux roses un peu de naturel, comme une mère qui, pour les faire bouffer, passe la main dans les cheveux de son fils que le coiffeur a trop aplatis” .
Le personnage entier est là dans cette image, et jusqu’à sa mort dans le troisième volume, ce personnage restera l’incarnation de l’amour et de la générosité, qui donne tout et ne demande rien, la parfaite "grand"-mère en quelque sorte, dans le sens noble et sublime de l’adjectif  "grand". 
 
La grand-tante (soeur du grand-père)
On s’écarte de cette perfection avec les personnages du côté du grand-père maternel, en particulier avec la grand-tante, cousine du grand-père paternel, personnage dont le côté mesquin, vulgaire, et même bêtement méchant fait reluire la perfection grand-maternelle (comme le père fait reluire les qualités de la mère et de la grand-mère, ou la fille de cuisine les qualités de Françoise).

Nathé Weil, le grand père maternel
Nathé Weil, le grand père maternel
Le grand-père
(père de la mère): est un personnage comique, et intéressant par le fait qu’il est construit à partir du grand-père maternel, et donc juif, de Proust et que placé à Combray, dans un milieu catholique, il n’arrête pas de faire des commentaires antisémitiques, peu sur Swann car c’est un ami de toujours, mais sur l’ami du narrateur, Bloch, un personnage que le grand-père trouve idiot car il ne s’intéresse ni au temps qui passe (il ne porte pas de montre, et cela de façon ostentatoire) ni au temps qu’il fait (il ne prend jamais de parapluie). 
Ce grand-père est un bon vivant qui aime bien boire son petit coup de gnôle, interdit par le docteur, ce qui donne à la grand-tante l’occasion de torturer la grand-mère chaque fois qu’elle offre à son cousin un verre d’alcool défendu, en criant, pour la taquiner, “Bathilde (nom de la grand-mère) viens donc empêcher ton mari de boire du cognac!” sachant que cela serait impossible, qu’il le boirait quand même et que la grand-mère repartirait “triste, découragée, souriante pourtant”.
Cette scène de “supplice” ou de “persécution” infligé à la bonne grand-mère, scène souvent répétée et dont il est le témoin, torture le jeune Marcel, mais au lieu d’intervenir (que pourrait-il d’ailleurs faire?), il passe et monte lire dans sa chambre, évoquant au passage la lâcheté des êtres humains qui détournent la tête “quand il y a devant [eux] des souffrances et des injustices” et qui se réfugient dans un passe-temps comme la littérature pour ne pas trop y penser.  C’est un exemple de cette tendance à creuser la banalité de la vie de tous les jours pour en découvrir des aspects qui ne sont pas toujours flatteurs pour l’être humain.
 
Swann, israélite, mondain, amateur d’art, raffiné, et qui tombera amoureux d’une "cocotte", Odette, une femme pas du tout “son genre” qui lui en fera voir des vertes et des pas mûres et qu’il finira par épouser  (dans Combray il est marié à cette cocotte et a une fille de l’âge de Marcel, mais il est reçu sans sa femme dans la petite société bourgeoise de la famille du narrateur, qui considère les classes sociales comme des systèmes de castes comme en ont les Hindous).  C’est lui dont la visite empêche le baiser maternel mais aussi qui souffrira, avec la femme dont il tombe amoureux, les mêmes angoisses dont il est la cause chez le jeune Marcel).  Pour le jeune Marcel, c’est un adversaire, mais aussi un modèle.

Proust et son village
La Petite Madeleine :
Entre les deux parties: la “Petite Madeleine” (impossible de ne pas en parler!).  La différence entre la première partie de Combray et la deuxième est que le village s’anime.  
Je résume:
Alors que le souvenir de Combray a presque disparu de la mémoire de l’homme insomniaque, qu’il ne lui reste que des morceaux de son passé à Combray, il est vrai très lointain, un petit incident va tout changer.  C’est au moment où il trempe une petite madeleine dans une tasse de thé et met ce morceau dans sa bouche, que tout à coup, il se souvient de tout  (un peu comme on se souvient d’un été oublié en entendant une chanson qui date de cet été-là): cela s’appelle la mémoire involontaire (en opposition à la mémoire volontaire qui ne nous rend que des photos, des clichés, la mémoire involontaire nous fait son cinéma). 
La tasse de thé dans lequel le narrateur plonge sa petite madeleine est un tout petit univers, un tout petit miroir, plat et banal (quoi de plus banal qu’une boisson chaude et un petit gâteau que l’on trempe dedans?), mais le miracle du souvenir a lieu.  Tout prend vie, les personnages s’animent et tout le petit village est restitué, avec son église, ses maisons, ses commerces, et bien sûr avec ses habitants.

Une petite visite commentée d'Illiers-Combray s'impose, cliquer ici

Proust et son village
Et pour commencer l’église de Combray, que Proust décrit comme un personne, une pastoure, la bergère en langue régionale (datant du Moyen Age):
 
Voici ce qu’on lit au tout début de cette deuxième partie, remarquez la métaphore de la bergère et ses moutons :
" Combray, de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand nous arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une église résumant la ville, la représentant, parlant d’elle et pour elle aux lointains, et, quand on approchait, tenant serrés autour de sa haute mante sombre, en plein champ, contre le vent, comme une pastoure ses brebis, les dos laineux et gris des maisons rassemblées qu’un reste de rempart du Moyen Âge cernait çà et là d’un trait aussi parfaitement circulaire qu’une petite ville dans un tableau de primitif "
 
Cette image un peu naïve d’un petit village, un peu image d’Epinal, est restée attachée à Proust, surtout aux Etats-Unis où je me rappelle qu’un de mes collègues du département de Français de Princeton, un médiéviste, Karl Uitti, avait une affiche représentant Proust devant un village typiquement français, tout concentré autour de l’église.  Pour lui, Proust c’était la France traditionnelle, la “France profonde” qui avait gardé ses traditions depuis le Moyen Age. 
 
Il est vrai que c’est l’église et en particulier le clocher de l’église qui rassemble et organise la vie du village :
 
" C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration […] Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on ne la voyait pas, tout semblait s’ordonner par rapport au clocher surgi ici ou là entre les maisons, peut-être plus émouvant encore quand il apparaissait ainsi sans l’église.  Et certes, il y en a bien d’autres qui sont plus beaux [mais aucun] ne tient sous sa dépendance toute une partie profonde de ma vie. "
 

Dans ce village où l’église joue un rôle primordial, il y a un autre lieu habité par un personnage qu’il faut maintenant présenter et qui est un lieu plein d’activités, il s’agit de la maison de la tante Léonie, et plus précisément de sa chambre.
 
Tante Léonie:
Voici la description de cette chambre, où tante Léonie non seulement soigne sa santé (physique et religieuse) mais où elle observe tout ce qui se passe dans le village :
" D’un côté de son lit était une grande commode jaune en bois de citronnier et une table qui tenait à la fois de l’officine et du maître-hôtel, où, au-dessous d’une statuette de la Vierge Marie et d’une bouteille de Vichy–Célestins, on trouvait des livres de messe et des ordonnances de médicaments, tout ce qu’il fallait pour suivre de son lit les offices et son régime, pour ne manquer l’heure ni de la pepsine ni des Vêpres.   De l’autre côté, son lit longeait la fenêtre, elle avait la rue sous les yeux et y lisait du matin au soir, pour se désennuyer, à la façon des princes persans, la chronique quotidienne mais immémoriale de  Combray, qu’elle commentait ensuite avec Françoise ."

 

Marcel Proust en 1887
Marcel Proust en 1887
Françoise est l’autre personnage principal de cette deuxième partie de Combray.  Servante de tante Léonie, elle la soigne avec dévotion, lui tient compagnie, et surtout l’accompagne dans ses activités de piplette et de Sherlock Holmes du village:

" Françoise et ma tante appréciaient […] ensemble au cours de cette scéance matinale, les premiers événements du jour.   Mais quelquefois ces événements revêtaient un caractère si mystérieux et si grave que ma tante sentait qu’elle ne pourrait jamais attendre le moment où Françoise monterait, et quatre coups de sonnette formidables retentissaient dans la maison.
“Mais madame Octave, ce n’est pas encore l’heure de la pepsine, disait Françoise.  Est-ce que vous vous êtes senti une faiblesse?
-Mais non, Françoise, disait ma tante, c’est-à-dire si […]  Croyez-vous pas que je viens de voir comme je vous vois Mme Goupil avec une fillette que je ne connais point.  Allez donc chercher deux sous de sel chez Camus [l’épicier].  C’est bien rare si Thédore ne peut pas vous dire qui c’est….
Ma tante savait bien que ce n’était pas pour rien qu’elle avait sonné Françoise car à Combray, une personne “qu’on ne connaissait pas” était un être aussi peu croyable qu’un dieu de la mythologie.
On connaissait tellement bien tout le monde, à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu passer un chien “qu’elle ne connaissait point”, elle ne cessait d’y penser et de consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d’induction et ses heures de liberté. "

La maison de tante Léonie, transformée en musée Proust
La maison de tante Léonie, transformée en musée Proust
Le dimanche en particulier est un jour de grandes investigations :
" d’où viennent ces belles asperges que Léonie a vu passer sous sa fenêtre dans le panier de Mme Imbert, “des asperges deux fois grosses comme celles de la mère Callot ?  Tâchez donc de savoir par sa bonne où elle les a eues”, demande Léonie à Françoise.
 
Et surtout la question du dimanche qui la perturbe est si Mme Goupil, sa voisine, est arrivée à la messe avant ou après l’élévation (une messe où on arrive après ne compte pas, c’est ce dont je me souviens de mon éducation religieuse)
 
- “Françoise, imaginez-vous que Mme Goupil est passée plus d’un quart d’heure en retard pour aller chercher sa soeur; pour peu qu’elle s’attarde sur son chemin, cela ne me surprendrait pas qu’elle arrive après l’élévation”.
 

C’est le dimanche aussi où une ancienne employée de maison à la retraite, Eulalie, vient faire sa visite hebdomadaire, recevant de Léonie une petite obole qui vient suppléer à sa maigre retraite, ce que Françoise, jalouse comme personne, ne supporte pas mais qu’elle est obligée d’accepter:
- “Tenez, ma pauvre Eulalie”, disait [la tante] d’une voix faible, en tirant une pièce d’une petite bourse qu’elle avait à portée de sa main, voilà pour que vous ne m’oubliez pas dans vos prières”. 
- Ah! Mais Madame Octave [nom de son mari décédé], je ne sais pas si je dois, vous savez bien que ce n’est pas pour cela que je viens! Disait Eulalie avec la même hésitation et le même embarras, chaque fois, que si c’était la première, et avec une apparence de mécontentement qui égayait ma tante mais ne lui déplaisait pas, car si un jour Eulalie, en prenant la pièce, avait un air un peu moins contrarié que de coutume, ma tante disait:
- Je ne sais pas ce qu’avait Eulalie; je lui ai pourtant donné la même chose que d’habitude, elle n’avait pas l’air contente.
- Je crois qu’elle n’a pourtant pas à se plaindre, soupirait Françoise, qui avait une tendance à considérer comme de la menue monnaie tout ce que lui donnait ma tante pour elle ou pour ses enfants, et comme des trésors follement gaspillés pour une ingrate les piécettes mises chaque dimanche dans la main d’Eulalie, mais si discrètement que Françoise n’arrivait pas à les voir.


Musée Marcel Proust : la maison de tante Léonie, cliquer ici

Proust en 1891
Proust en 1891
C’est aussi le dimanche que M. le curé vient faire sa visite à Léonie, annoncé par Françoise qui prend des mines de circonstances et imite les paroles mêmes du curé: “M. le curé serait enchanté, ravi, si Madame Octave ne repose pas et pouvait le recevoir. M. le curé ne veut pas déranger.  M. le curé est en bas, j’y ai dit d’entrer dans la salle”.
Visites qui ne réjouissent pas tant Léonie car elles sont interminables et rasoir pour elle (il ne parle que d’étymologie de noms de saints), l’épuisent et lui font congédier Eulalie sans lui avoir demandé la seule chose qui l’intéresse :
" A peine Françoise était-elle descendue que quatre coups donnés avec la plus grande violence, retentissaient dans la maison et ma tante, dressée sur son lit lui criait :
Est-ce qu’Eulalie est déjà partie?  Croyez-vous que j’ai oublié de lui demander si Mme Goupil était arrivée à la messe avant l’élévation!  Courez vite après elle! "

 
Ce que Françoise, envieuse d’Eulalie, ne fait évidemment pas.

Domaine de Françoise, la cuisine
Domaine de Françoise, la cuisine
Françoise, comme on le voit, est un personnage important.  Son nom même, évoque la France traditionnelle, paysanne et aristocratique à la fois, la France de toujours, avec ses coutumes remontant dans la nuit des temps.  C’est elle qui organise les menus avec un génie qui lui est propre (dans une autre partie du roman, on l’appelle "le Michel Ange de la cuisine"), c’est elle qui prépare le sacro-saint déjeuner du dimanche, et qui règne dans sa cuisine sur les menus en particulier, avec un art et un à propos que nul grand chef ne pourrait lui envier.
" Au fond permanent d’oeufs, de côteletttes, de pommes de terre, de confitures, de biscuits, qu’elle ne nous annonçait même plus, Françoise ajoutait – selon les travaux des champs et des vergers, les fruits de la marée, les hasards du commerce, les politesses des voisins et son propre génie, et si bien que notre menu […] reflétait un peu le rythme des saisons et les épisodes de la vie: une barbue parce que la marchande lui en avait garanti la fraîcheur, une dinde parce qu’elle en avait vu une belle au marché de Roussainville-le-Pin, des cardons à la moelle parce qu’elle ne nous en avait pas encore fait de cette manière-là,  un gigot rôti parce que le grand air creuse et qu’il avait bien le temps de descendre d’ici sept heures, des épinards pour changer, des abricots parce que c’était encore une rareté, des groseilles parce dans quinze jours il n’y en aurait plus, des framboises parce que M. Swann en avait apportées…  Une crème au chocolat, inspiration, attention personnelle de Françoise, nous était offerte, fugitive et légère comme une oeuvre de circonstance où elle avait mis tout son talent.   […]  En laisser même une goutte dans le plat eût témoigné de la même impolitesse que se lever avant la fin du morceau au nez du compositeur."

Edouard Manet, une botte d'asperges
Edouard Manet, une botte d'asperges
De cet art de Françoise, Marcel en est très conscient et admiratif, et sous son regard d’enfant, il prend des proportions gigantesques et féériques.
 
" A cette heure où je descendais apprendre le menu, le dîner était déjà commencé, et Françoise, commandant aux forces de la nature devenues ses aides, comme dans les féeries où les géants se font engager comme cuisiniers, frappait la houille, donnait de la vapeur aux pommes de terre à étuver et faisait finir à point par le feu les chefs d’oeuvres culinaires d’abord préparés dans des récipients de céramiques qui allaient des grandes cuves, marmites, chaudrons et poissonnières, aux terrines pour le gibier, moules à pâtisserie, et petits pots de crème en passant par une collection complète de casseroles de toutes dimensions. "
 
Même les asperges préparées pour le repas font de Françoise une artiste et de son art de la gastronomie un art noble.  Ici l’asperge rappelle, entre autres, le célèbre tableau du peintre impressionniste, Manet, avec cette différence que l'art de Françoise est mangeable et convoque tous les sens:
" Mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outre-mer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied - encore souillé pourtant du sol de leur plant - par des irisations qui ne sont pas de la terre […] toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières, comme une féérie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum ."

La cuisine : détails
La cuisine : détails
Mais la cuisine de Françoise n’est pas seulement un lieu magique de transmutation des produits de la terre en essence poétique, c’est aussi le lieu du sacrifice, de la mort du poulet, qui si on veut le manger doit être tué (et la consommation de l’oeuvre d’art est lié au sentiment de culpabilité):
 
Voici la scène qui, comme tant d’autres, est à la fois drôle et sérieuse, banale et chargée de significations (religieuses tout autant qu'artistiques) :
"Françoise était en train, dans l’arrière-cuisine qui donnait sur la basse-cour, de tuer un poulet qui, par sa résistance désespérée et bien naturelle, mais accompagnée par Françoise hors d’elle tandis qu’elle cherchait à lui fendre le cou sous l’oreille par des cris de “sale bête! sale bête!”, mettait la sainte douceur et l’onction de notre servante un peu moins en lumière qu’il n’eût fait, au dîner du lendemain, par sa peau brodée d’or comme une chasuble et son jus précieux égoutté d’un ciboire.  Quand il fut mort, Françoise recueillit le sang qui coulait sans noyer sa rancune, eut encore un sursaut de colère en regardant le cadavre de son ennemi, dit une dernière fois “Sale bête!”.  Je remontai tout tremblant; j’aurais voulu qu’on mît Françoise tout de suite à la porte.  Mais qui m’eût fait des boules aussi chaudes, du café aussi parfumé et même …  ces poulets?. "
 

Proust reprend ici l’idée que l’on trouve dans la scène des liqueurs bues par le grand-père: Marcel remonte dans sa chambre, en tremblant, mais en acceptant la mort nécessaire du poulet, nécessaire s’il veut le manger le lendemain.  On ne peut pas congédier Françoise, elle est nécessaire pour tous.  C’est grâce à elle finalement que tout fonctionne. 
 
C’est aussi grâce à Françoise que la routine hebdomadaire est interrompue le samedi, par son marché l’après-midi qui décale l’heure du déjeuner, qui a lieu une heure plus tôt que de coutume.  Ainsi la famille peut, ce jour-là, vivre à son heure à elle, et former une petite communauté intérieure, avec ses habitudes particulières, se donner un frisson d’indépendance tout en restant liés les uns aux autres par un sentiment d’appartenance à une même “patrie”.

Cette avance du déjeuner donnait […] au samedi, pour nous tous, une figure particulière, indulgente, assez sympathique.  Au moment où d’habitude on a encore une heure à vivre avant la détente du repas, on savait que, dans quelques secondes, on allait voir arriver des endives précoces, une omelette de faveur, un bifteck immérité.  Le retour de ce samedi asymétrique était un de ces petits événements intérieurs, locaux, presque civiques qui, dans les vies tranquilles et les sociétés fermées, créent une sorte de lien national et deviennent le thème favori des conversations, des plaisanteries, des récits exagérés à plaisir […] Dès le matin, avant d’être habillés, sans raison, pour le plaisir d’éprouver la force de la solidarité, on se disait les uns aux autres avec bonne humeur, avec cordialité, avec patriotisme: “Il n’y a pas de temps à perdre, n’oublions pas que c’est samedi!” […] Si à dix heures un distrait tirait sa montre en disant :“Allons, encore une heure et demie avant le déjeuner”, chacun était enchanté d’avoir à lui dire: “Mais voyons, à quoi pensez-vous, c’est samedi!”; on en riait encore un quart d’heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l’amuser.
 
Mais ces samedis décalés ne perturbent pas le traintrain quotidien, “ils n’introduisent au sein de l’uniformité qu’une sorte d’uniformité secondaire”, comme la purée de pommes de terre est remplacée de temps à autres par des pommes de terre à la crème.  Au fond, ce sont toujours des pommes de terre, seule varie leur préparation. 
 

Il est intéressant de noter ici que si le dimanche est le jour catholique, et le samedi le jour du sabbath, les deux ne sont pas plus dissemblables que les pommes de terre en purée et à la crème.  La religion ne joue pas un grand rôle en tant que foi, comme on le voit avec Léonie, mais en tant qu’habitude, coutumes, et que toutes les coutumes se valent et font bon ménage. 

Affiche de Jacques Auriac
Affiche de Jacques Auriac
Combray, le village de Proust, semble être un lieu en dehors du temps et des grandes querelles, un lieu où rien ne change, comme un tableau de primitif, vernis dans son cadre, il semble hors du temps de l’histoire, immémorial. 
 
Et pourtant, si l’on saute trois mille et quelques pages, on est étonné de découvrir que ce village qui semblait se situer hors du temps, en est la première victime, victime de l’événement qui interrompt en août 1914 le cours de l’histoire, qui interrompt le roman commencé par Proust en 1908, et dont seul le premier volume, Du côté de chez Swann, est publié (en 1913).  Combray ne résiste pas à la guerre, toute la région est détruite au cours d’une bataille qui est décrite exactement comme celle de Verdun.  Voici un extrait de la lettre de Gilberte Swann, la fille de Swann, l’amie de Marcel, et qui raconte comment se sont passées les choses:
 
Vous n’avez pas idée de ce que c’est que cette guerre, mon cher ami, et de l’importance que prend une route, un pont, une hauteur.  Que de fois j’ai pensé à vous, aux promenades […] que nous faisions ensemble dans tout ce pays aujourd’hui ravagé, alors que d’immenses combats se livraient pour la possession de tel chemin, de tel coteau que vous aimiez […]  La bataille de Méséglise a duré plus de huit mois, les Allemands y ont perdu plus de six cent mille hommes, et ils ont détruit Méséglise mais ils ne l’ont pas pris [IV, 63].
 
Pourquoi Proust a-t-il détruit son village?  Pourquoi a-t-il déplacé Combray, de la Beauce où il avait pour modèle la petite ville d’Illiers à la Champagne, où il devient Verdun, un lieu de mémoire et de deuil?
Je n’ai pas la réponse, mais je pense qu’elle est à chercher dans le sacrifice du poulet, le poulet qui ne peut à la fois être vivant et apparaître sur la table, avec “sa peau brodée d’or comme une chasuble et son jus précieux égoutté d’un ciboire”, que l’oeuvre d’art chez Proust sacrifie le passé pour en extraire un immortel présent.  Pour que Combray existe il faut qu’Illiers soit sacrifié, et la guerre arrive à point nommé pour préserver dans l’éternité le petit village de Combray, pour en faire un objet précieux et délicieux, consommable pour tous.
 

Marcel Proust, À la  recherche du temps perdu, Paris: Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, vol. I-IV, 1987-89.  Toutes citations proviennent de cette édition.

Un grand merci à Brigitte Mahuzier !
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La plupart des illustrations proviennent du livre  "Patricia Mante-Proust présente Marcel Proust". Merci pour ce bel ouvrage !
Mise en ligne : Roberte Nourrigat



17/07/2019 11:26

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